Quatre questions sur la possible création d'un groupe d'amitié France-Palestine à l'Assemblée
Quatre questions sur la possible création d'un groupe d'amitié France-Palestine à l'Assemblée

Quatre questions sur la possible création d'un groupe d'amitié France-Palestine à l'Assemblée

Faut-il créer un groupe d’amitié France-Palestine à l’Assemblée nationale ? C’est la question qui est soumise mercredi 15 mai au bureau du Palais-Bourbon, comme l’a révélé franceinfo le 27 avril. S’il existe déjà un groupe d’études à vocation internationale sur la Palestine, certains députés poussent pour le transformer en groupe d’amitié, pour des raisons symboliques et politiques. D’autres s’y opposent, dans un contexte national et international tendu depuis l’attaque du 7 octobre en Israël. Ces groupes d’amitié ont pourtant un rôle très encadré.

1A quoi servent les groupes d’amitié parlementaires ?

Les groupes d’amitié ont été créés en 1959 à l’Assemblée nationale pour rassembler des élus intéressés par différents pays. Ces groupes sont transpartisans et sont composés sur la base du volontariat, sans limite de nombre, en fonction des intérêts ou des affinités des élus pour tel ou tel pays. Au Sénat, le même dispositif existe, avec 81 groupes interparlementaires d’amitié chargés de la coopération bilatérale entre les Parlements”. A l’Assemblée, on dénombre 146 groupes d’amitié.

Le règlement du Palais-Bourbon précise que leur objectif est de “tisser des liens entre parlementaires français et étrangers” et d’être “acteurs de la politique étrangère de la France et des instruments du rayonnement international de l’Assemblée nationale”.

Ces groupes d’amitié “jouent un rôle important dans ce qu’on appelle la diplomatie parlementaire”, explique l’historien Jean Garrigues. Il s’agit surtout de “nouer des liens avec leurs homologues parlementaires à l’étranger, à travers des missions d’information dans ces pays, des réceptions en France, qui leur permettent de s’informer en toute indépendance”, détaille le président du Comité d’histoire parlementaire et politique. Ces activités peuvent donner lieu à la rédaction de rapports d’information publics.

2 Comment fonctionnent-ils ?

Concrètement, ces groupes se réunissent et organisent en France des auditions, des réceptions et des colloques, ainsi que des missions à l’étranger. Ils peuvent parfois se déplacer là où il n’y a plus de représentation diplomatique française, comme au Yémen, en 2018, rapportait Le Point. Lorsque le président ou le ministre des Affaires étrangères effectue un déplacement à l’étranger, il est aussi d’usage qu’il emmène dans sa délégation quelques membres du groupe d’amitié correspondant.

Les activités de ces groupes sont toutefois soumises à des réalités budgétaires. Leurs frais de réception et de mission sont soumis à l’approbation du bureau de l’Assemblée. “J’avais une enveloppe budgétaire votée chaque année et je validais en moyenne une dizaine de missions à l’étranger et une dizaine de réceptions, en veillant à ce que ces événements soient transpartisans”, explique Laëtitia Saint-Paul, députée Renaissance de Maine-et-Loire et présidente de la délégation chargée des activités internationales de 2019 à 2022.

Une autre contrainte s’impose, de temps cette fois : “Pour les parlementaires, le travail au sein des groupes d’amitié vient après le travail dans l’hémicycle, en commission et en circonscription, ajoute Jean Garrigues. Ce n’est pas l’activité première du parlementaire, ça reste une activité marginale.”

3Comment ces groupes peuvent-ils être créés ?

Pour voir le jour, les groupes d’amitié doivent recevoir un agrément du bureau de l’Assemblée ou du Sénat. Puis ils sont quasi automatiquement reconduits après chaque renouvellement de l’hémicycle. Pour qu’un groupe d’amitié soit créé à l’Assemblée, il faut que le pays remplisse trois critères, selon le règlement  : qu’un Parlement y existe, qu’il entretienne des relations diplomatiques avec la France et que le pays appartienne à l’Organisation des Nations unies.

Si ces trois critères ne sont pas remplis, les députés peuvent former un groupe d’études à vocation internationale, abrégé en Gevi dans le jargon parlementaire. Cette catégorie a été créée en 1981 et il existe actuellement huit Gevi, sur la Corée du Nord, la Biélorussie, Taïwan ou encore la Palestine.

Mais y a-t-il une réelle différence entre un groupe d’amitié et un Gevi ? Dans les faits, le règlement de l’Assemblée précise qu’un Gevi dispose des “mêmes moyens”, à savoir un secrétaire administratif mis à disposition, et la possibilité d’utiliser le budget de l’Assemblée pour organiser des réceptions et des missions à l’étranger. “On fait des rencontres entre parlementaires, on crée des liens”, explique Richard Ramos, député MoDem du Loiret et président du Gevi sur la Palestine depuis le début de l’année. “On est des facilitateurs de rencontres, on peut mettre en contact des producteurs de dattes avec le marché de Rungis”, poursuit-il. Le groupe a par exemple auditionné le 14 mars dernier Hala Abou Hassira, l’ambassadrice de Palestine en France.

4Que changerait la création d’un groupe d’amitié France-Palestine à l’Assemblée ?

Pour l’historien Jean Garrigues, la différence entre les deux types de groupes n’est toutefois “pas négligeable”, car leur statut institutionnel n’est pas le même : “Le groupe d’amitié fait partie du travail du Parlement, au même titre que les commissions permanentes.” Par ailleurs, la création d’un groupe d’amitié peut, selon lui, “changer la nature des rapports avec le pays concerné, puisque c’est une forme de reconnaissance d’un Etat : le groupe d’études s’intéresse à un peuple, tandis que le groupe d’amitié s’intéresse à un Etat”.

A l’initiative de cette demande, Richard Ramos fait la même analyse : “Un Gevi n’a pas la même reconnaissance au Parlement qu’un groupe d’amitié. On ne peut pas plaider pour une solution à deux Etats et avoir un groupe d’amitié France-Israël, mais pas l’équivalent pour la Palestine”, plaide le député, conscient toutefois que la transformation du Gevi en groupe d’amitié ne changerait rien sur le plan du fonctionnement ou du budget. “Mais ce serait historique et symbolique”, insiste-t-il.

“Ce serait une décision symbolique, certes, mais le symbolique, c’est important”, acquiesce le député non inscrit du Finistère Jean-Charles Larsonneur, ancien président du Gevi. “C’est particulièrement opportun d’envoyer un signal maintenant, tant aux Palestiniens qu’aux Français, pour éviter l’importation du conflit.”

Mais pour Mathieu Lefèvre, président du groupe d’amitié France-Israël, cette décision ne va pas de soi. “Le débat est légitime, mais je n’y suis pas favorable, car tous les critères ne sont pas remplis : la Palestine n’est pas un Etat internationalement reconnu, c’est assez factuel”, pointe le député Renaissance du Val-de-Marne, qui estime que les parlementaires ne doivent “pas mener une diplomatie concurrente de celle menée par l’exécutif”. Sa collègue Laëtitia Saint-Paul estime aussi que le bureau devrait s’en tenir à la “jurisprudence constante”, et ne pas créer de groupe d’amitié avec un Etat non reconnu par Paris.

Comme Richard Ramos, 26 députés membres du Gevi sur la Palestine (qui en compte 44) ont adressé le 9 mai une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour lui demander de reconnaître l’Etat palestinien. Le président du Gevi sur la Palestine craint que ce projet de groupe d’amitié fasse les frais du contexte international. “Je reçois des messages de centristes et de macronistes qui me disent que ce n’est pas le moment, c’est une vraie lâcheté”, regrette Richard Ramos. “Si, demain, nous ne devenons pas un groupe d’amitié, [le bureau] de l’Assemblée risque de mettre de l’huile sur le feu et de renforcer la colère de certains Français contre le gouvernement d’Israël”, met-il en garde. Quelle que soit l’issue du vote du bureau, le député MoDem espère pouvoir organiser une mission en Palestine avant la fin du printemps ou à l’automne.

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